Rhétorique

Tant qu’il y aura des morts…

Une publicité qui marque les esprits. Le spot télé pour la sécurité routière de 2012 mêle au drame des images une subtile et troublante poésie. Le texte en voix off se construit sur plusieurs figures de style et formules rhétoriques, notamment basées sur la répétition : saurez-vous les identifier ? (toutes les réponses ci-dessous)

Tant qu’il y aura trop d’alcool dans le sang d’un conducteur, il y aura du sang sur les routes…
Tant qu’un conducteur ratera un virage parce qu’il n’a pas voulu rater un appel, on appellera une ambulance…
Tant qu’un véhicule de trois tonnes ignorera un scooter de cent kilos, il y aura des tonnes de dégâts…
Tant qu’on tournera sans faire attention à l’angle mort, il y aura des morts dans l’angle mort…
Tant que la vitesse inscrite sur les compteurs dépassera celle inscrite sur les panneaux, les accidents ne ralentiront pas…
Tant qu’on continuera à penser que ce sont les autres qui conduisent mal sans penser que les autres, c’est nous tous…
Tant qu’on ne comprendra pas que le code de la route n’est pas là pour nous faire perdre des points de permis mais pour nous faire gagner des années de vie…
Tant qu’il y aura des morts…
Il nous faudra agir pour une route plus sûre.

Voici quelques unes des figures utilisées :

  • Anaphore : répétition au début de plusieurs membres de phrase ou de plusieurs vers, d’un mot ou d’un groupe de mots (« Tant qu‘il y aura… », « tant que… », « tant qu‘on… »)
  • Antanaclase : répétition, dans une même phrase, d’un mot employé chaque fois avec une acception différente (« alcool dans le sang » / « sang sur les routes » ; « rater un virage » / « rater un appel »…)
  • Antinomie : ensemble de deux propositions contradictoires (« perdre des points de permis » / « gagner des années de vie »…)
  • Polyptote : répétition de plusieurs termes de même racine, ou encore d’un même verbe sous différentes formes (« rater un appel«  / « ratera un virage » / « appelera une ambulance »…)

Autres figures de style proches ou apparentées (que vous ne trouverez pas dans le texte de la pub, mais qui sont évoqués ici pour leur proximité avec les premières, afin de nourrir la réflexion et donner quelques idées de procédés similaires…)

  • Accumulation : énumération d’éléments appartenant à une même catégorie et qui crée un effet de profusion.
  • Conglobation : répétition rhétorique d’arguments semblables qui vise à prouver une argumentation ou à justifier une idée qui n’est exposée qu’à la fin du discours (proche de l’accumulation).
  • Epanaphore : répétition d’une même formule au début de phrases ou de segments de phrase successifs, dans la même structure syntaxique.
  • Prosonomasie : répétition dans une phrase ou une formule de deux groupes de mots à la sonorité similaire.

…Repérez-vous d’autres figures de style, de mots et d’idées ?

Partagez sur vos réseaux

Un stratagème rhétorique très puissant : l’argument d’autorité

L’argument d’autorité est un stratagème rhétorique très puissant qui consiste à se servir d’un ouvrage, d’un auteur, ou de toute autre référence culturelle ou scientifique pour appuyer son propos.

En mettant en avant une certaine culture, en donnant ainsi un aspect plus scientifique, plus académique ou universitaire à ce que l’on dit, il s’agit de montrer que l’on a correctement étudié le sujet – ou du moins en donner l’air… Il s’agit d’impressionner le public ou ses contradicteurs.

Schopenhauer en parle dans son ouvrage L’art d’avoir toujours raison (cf. stratagème n°30). Il observe que « quand deux individus se querellent, ce sont des personnalités faisant autorité qu’ils choisissent l’un et l’autre comme armes, et dont ils se servent pour se taper dessus. »

Par exemple : « Untel a dit que… ! », « Oui mais Machin avait écrit que… ! », etc.

Et c’est exactement ce que je fais moi-même en citant ici Schopenhauer ;-)

Il ne s’agit pas de se comporter soi-même de façon « autoritaire », mais de citer quelqu’un qui fait autorité en la matière, selon le sujet que l’on traite, et selon le degré de connaissance de notre interlocuteur ou de nos auditeurs.

L’autorité citée peut être un « grand » auteur, un « intellectuel », un savant… Les gens croient plus facilement une personnalité déjà réputée – et ce quel que soit le domaine dans lequel cette personnalité s’exprime, même si ça n’a rien à voir avec sa spécialité.

Par exemple, Einstein : parce qu’il est considéré comme un génie pour ses découvertes scientifiques, on lui accorde tout autant de crédit en matière d’idées politiques. Or, ses idées politiques ne sont rien d’autres que de simples opinions…

Bien sûr, les références que nous décidons d’utiliser doivent être reconnues comme telles par les personnes auxquelles on s’adresse. Lors d’un débat, l’idéal est donc de citer un auteur apprécié, ou du moins respectée par notre contradicteur : celui-ci aura d’autant plus de mal à le critiquer et, donc, à refuser l’idée que nous y associons.

D’où l’intérêt d’étudier avec autant d’intérêt les auteurs avec lesquels nous sommes d’accord que ceux avec lesquels nous sommes en désaccord.

Cela dit, Schopenhauer remarque que « ce sont les autorités auxquelles l’adversaire ne comprend pas un traître mot qui font généralement le plus d’effet »… Faire référence à des auteurs particulièrement techniques ou réputés comme tels est donc une bonne façon d’impressionner la plupart des gens (par exemple les philosophes allemands : Kant, Hegel, Heidegger…).

Il ajoute : « Les ignorants (sic) ont un respect particulier pour les figures de rhétorique grecques et latines. » Utilisez l’air de rien quelques termes et expressions en latin dans votre argumentation pour lui donner immédiatement un air plus sérieux.

Dans le même esprit, employer un jargon professionnel est souvent un bon moyen pour s’imposer dans un débat. Cela impressionne surtout les personnes peu cultivées. Personne n’y trouvera rien à redire (parce que personne n’y comprendra rien) et tout le monde vous écoutera comme « le » grand spécialiste (pensez au jargon du médecin, du juriste, de l’expert ceci ou cela..). Par ailleurs, plus vos propos sont obscurs et moins vous donnez de prises à l’adversaire pour vous attaquer (souvenez-vous : « soyez clair, et vous êtes perdu » !).

Une formule creuse comme : « La boite extérieure contient la boite intérieure, de même que la boite intérieure contient la boite extérieure » semble vouloir dire quelque chose de profond, et occupera un moment l’esprit de votre contradicteur qui cherchera comment réagir sans paraître idiot.

Les formules qui sonnent comme des dictons ont également un fort impact. Toute forme d’expression de sagesse populaire semble frappée au coin du bon sens, une sorte d’autorité qui vient de l’expérience du temps et de la tradition. Sarkozy était très fort à ce petit jeu là, pour édicter ses idées sous l’apparence d’adages populaires.

En résumé, voici comment se servir de l’argument d’autorité :

Utilisez des références. Quand vous devez défendre une idée, intégrez des citations dans vos exposés. Pour gagner en crédibilité, évoquez des livres, des études, des rapports… Mentionnez autant que possible le nom des auteurs.

Employez ci et là des termes techniques, philosophiques, scientifiques… Un bon rapport est de : 20% de mots techniques pour 80% de langage simple. Le but est de rester compréhensible et accessible au plus grand nombre, tout en laissant supposer un savoir bien plus vaste.

Soyez précis dans vos citations : connaissez au moins le nom de l’auteur, sa période, voire le titre de l’ouvrage duquel est extraite la citation. Mieux encore : connaître le numéro de la page en fonction de l’édition à partir de laquelle vous citez l’auteur en question ! Vous blufferez tout le monde.

Par bien des aspects, l’argument d’autorité consiste à étaler sa culture pour montrer aux autres qu’on en sait plus qu’eux, qu’ils n’ont rien à nous apprendre, que c’est à eux d’écouter…

En réalité l’argument d’autorité ne prouve rien, et l’on devrait pouvoir se passer de cette forme de pédanterie. Mais puisque la plupart des gens sont impressionnables, et que d’autres n’hésiteront donc pas à les impressionner, il faut soi-même pouvoir rivaliser.

Voici 3 astuces pour pallier quelques oublis ou lacunes en culture générale :

  • Répertoriez et apprenez par coeur quelques citations, une poignée seulement, mais qui portent sur des thèmes suffisamment généraux afin de pouvoir les ressortir sur quasiment tous les sujets. Retenez à chaque fois le nom de l’auteur, si possible l’origine et le contexte de la citation (extraite de tel ou tel ouvrage, tirée de tel ou tel discours) ainsi que sa date.

Par exemple j’aime bien citer Gandhi, car on en a fait une figure très respectable difficile à critiquer, alors qu’il était capable de vous faire avaler des couleuvres :
« C’est une erreur de croire nécessairement faux ce qu’on ne comprend pas » (à dire à quelqu’un qui refuse nos arguments en déclarant qu’ils sont tarabiscotés) ;
« L’erreur ne devient pas vérité en se multipliant » (à dire à quelqu’un qui prétend se ranger du côté de la majorité) ;
« Tout ce que tu feras sera dérisoire, mais il est essentiel que tu le fasses » (à dire à quelqu’un qui remet en cause l’utilité de certaines actions), etc.

  • De même, retenez quelques locutions latines, plus ou moins connues, mais adaptables à tout type de contexte.

Par exemple, parmi mes préférées :
Alea jacta est (« le sort en est jeté ») ;
Amicus Plato, sed magis amica veritas (« J’aime Platon, mais j’aime mieux la vérité » : pour contrer un argument d’autorité justement !) ;
Aquila non capit muscas (littéralement « l’aigle n’attrape pas les mouches », ce qui peut signifier : je n’ai pas à m’occuper de ce genre de détails) ;
Si vis pacem, para bellum (« si tu veux la paix, prépare la guerre »), etc. Préférez ce genre de formules paradoxales, pour dire tout et son contraire.

  • Enfin, préparez-vous constamment, renseignez-vous au préalable sur les sujets sur lesquels vous pouvez être amené à vous exprimer, dans tout type de situation. Faites des « fiches », comme les étudiants, et relisez-les régulièrement. Par exemple, juste avant une discussion, en fonction des sujets que vous aborderez probablement, consultez les fiches adéquates. Pour chaque idée ou argument, donnez 1 exemple, + 1 référence. Contentez-vous d’une locution latine par discussion.

Vous serez ainsi armé pour vous démarquer sur tous les sujets, dans tous les débats, en apparaissant comme quelqu’un de particulièrement cultivé.

En retour, ne soyez pas impressionné par les « petits professeurs », c’est-à-dire ces personnes qui s’expriment sans cesse à travers les idées des autres, untel à dit ceci, tel autre a dit cela, étalant leur culture autant que possible, noyant leurs interlocuteurs sous une avalanche de références, de citations, de noms d’auteurs et de titres d’ouvrages peu connus (qu’ils n’ont parfois eux-mêmes même pas lus !) :

La culture n’enseigne pas l’intelligence, encore moins la vérité… Être érudit est une chose, bien réfléchir en est une autre.

Partagez sur vos réseaux

Voltaire et le verlan (aurait-il porté la casquette à l’envers ?)

François-Marie Arouet, dit Voltaire, écrivain et philosophe français, figure emblématique des Lumières (1694-1778)

Le verlan, procédé qui consiste à inverser toute la structure syllabique d’un terme (verlan veut justement dire « à l’envers »), est souvent interprété comme un saccage de la langue.

La parole, la maîtrise du discours, c’est le pouvoir. En renversant les mots, le verlan renverse symboliquement l’ordre en place, alors perçu comme le langage d’une contre-culture, rebelle et subversive.

C’est un mode d’expression typiquement associé au hip hop, et les textes de rap sont truffés de termes construits de la sorte. Le « jeune des cités » (allons-y à fond dans les clichés…) qui se réfugie dans cette forme d’expression se met donc implicitement en opposition avec la culture et l’enseignement que ses professeurs du secondaire et supérieur essayent de lui transmettre.

Pourtant, n’est pas le plus rebelle qui croit !

En cours de français, et en prévision du bac, ses professeurs lui font notamment lire des auteurs du XVIIIe siècle, dont Voltaire, entre autres… Or, « Voltaire », comme nous l’avons tous appris lors de ces mêmes cours de français, est un pseudonyme.

Pourquoi ce pseudonyme ? Que veut-il dire et d’où vient-il ?

Une interprétation célèbre fait de ce pseudo une anagramme du vrai nom de l’auteur, François-Marie AROUET, ou AROVELTI en latin, le U étant représenté en majuscule par une lettre semblable au V (l’anagramme repose sur une figure de style consistant à permuter les lettres d’un mot pour en composer un nouveau, ici A-R-O-V-E-L-T-I pour écrire V-O-L-T-A-I-R-E.)

Mais une autre interprétation, moins répandue, rappelle que les parents de Voltaire sont originaires du village de Airvault, à partir duquel Voltaire aurait donc construit son pseudonyme… en verlan ! (Airvault > vaultAir)

Loin d’être un saccage de la langue française, les modes d’expression alternatifs et marginalisés s’inspirent en réalité sans le savoir de jeux littéraires très sophistiqués, qui occupaient les élites et autres érudits de la période des Lumières…

Vous aussi exercez-vous régulièrement à parler en verlan !

Parler en verlan est un excellent exercice pour apprendre à manier la langue, faire travailler son esprit, sa réactivité et sa créativité. C’est une véritable gymnastique intellectuelle. C’est aussi un bon moyen de mémoriser certains mots techniques ou complexes, en jouant avec.

Lépar en lanvére est un lenxélé cicérex pour prendra à niéma la gueulan, reufé vaillé-tra son priesse, sa tivitéréac et sa tivitécréac. C’est une bleutavéri sticknagym elletulékinte. C’est sisso un bon yen-moi de zérimémo taincére ôme niktek ou plexcom, en ouanje veka.

Partagez sur vos réseaux

Donc… Ce petit mot qui irrite

« Donc » est comme un petit nuage dans le ciel bleu de vos discours… Il suffirait de le supprimer pour que tout soit parfait…

« L’illogisme irrite. Trop de logique ennuie. La vie échappe à la logique, et tout ce que la seule logique construit reste artificiel et contraint. Donc est un mot que doit ignorer le poète, et qui n’existe que dans l’esprit. »

Cette citation appelant à plus de poésie dans nos vies est d’André Gide (tirée de son Journal 1889-1939).

Le terme « donc » est un connecteur logique : ce qui signifie qu’il annonce une conclusion qui découle de propos préalablement énoncés. Même chose pour « alors ». Or, beaucoup font l’erreur de débuter spontanément leurs interventions par un retentissant « …Donc ! » ou un tout aussi tonitruant « …Alors », « …Alors bonjour », « …Alors voilà, je vais vous parler de… »

Comme l’observe André Gide, le « donc » est déjà assez ennuyant en tant qu’il est la marque d’un excès de logique. Mais utilisé de la sorte, il devient carrément illogique ! Et irritant…

Ces petits mots comme « donc » et « alors » se glissent partout, se substituent facilement à des « heu… » répétitifs et finissent par devenir des tics de langage. Attention, c’est contagieux ! Si la personne qui s’exprime avant vous place des « donc » ou des « alors » un peu partout, il est probable que vous en fassiez autant lorsque vous prendrez la parole. Sachez y être attentif chez les autres, pour mieux vous en prémunir.

Bien sûr, André Gide ne condamne pas tout à fait le terme en lui-même, mais ce qu’il implique : une tendance à la démonstration parfaite, parfaitement rigoureuse – tandis qu’il faudrait davantage oser des affirmations peut-être moins bien fondées, basées sur le ressenti, absurdes comme la vie, frisant la poésie… Un orateur doit parfois moins chercher à prouver qu’à enchanter

Poursuivez la lecture avec cet article : Ré-enchantez instantanément le quotidien grâce à la pratique de l’A-Nommeur !

Partagez sur vos réseaux

Rhétorique et pessimisme chez Schopenhauer

La rhétorique est l’art de la persuasion. Son statut est ambigu. Pratique héritée des philosophes de la Grèce antique, elle fascine autant qu’elle inspire la méfiance. Tout le monde convient en effet qu’il vaut mieux être convaincant plutôt que déplaisant, séduire plutôt que dégouter, susciter l’adhésion plutôt que le rejet. Mais peu de gens assumeraient de tromper ou manipuler les autres délibérément, et personne ne supporte de l’être. Nous avons généralement, dans le fond, un certain idéal de vérité.

Toutefois, la rhétorique n’est pas seulement l’apanage des menteurs et autres manipulateurs. Même quand on a raison, même lorsqu’on est persuadé de détenir la vérité, on peut avoir besoin de la rhétorique pour défendre son point de vue. Comme l’explique Schopenhauer dans L’art d’avoir toujours raison, la rhétorique a donc un double usage : de la part de nos contradicteurs, possibles menteurs ou manipulateurs, mais également de notre part à nous, pourfendeurs des illusions et faux-semblants !

Pour quiconque, en effet, la connaissance de ces techniques permet de les déceler chez ses adversaires. C’est pourquoi Schopenhauer déclare que la mission première des rhéteurs est« d’élaborer et d’analyser les stratagèmes de la malhonnêteté dans la controverse afin que, dans les débats réels, on puisse les reconnaître immédiatement et les réduire à néant ».

En retour, il faut tout autant oser utiliser ces stratagèmes malhonnêtes, afin d’instaurer l’équité dans le combat avec l’adversaire : « il faut même souvent y avoir recours soi-même pour battre l’adversaire à armes égales ». C’est au nom de la vérité qu’il faut parfois exagérer voire mentir un petit peu…

Dans un monde idéal, avoir raison serait peut-être suffisant pour l’emporter dans les controverses, « mais vu la mentalité des hommes, cela n’est pas suffisant en soi, et vu la faiblesse de leur entendement ce n’est pas absolument nécessaire ».

Quiconque a l’expérience des débats sait à quel point y est fait peu de cas de la vérité comme de la justesse des idées. Question d’orgueil, de vanité, quand ce n’est pas par pure et simple malhonnêteté, ou l’imbécile envie de provoquer pour provoquer : n’importe quelle position est défendue et maintenue, contre toute tentative de chercher sincèrement à se tourner vers la vérité.

Schopenhauer fonde donc sa justification de la rhétorique sur une forme de pessimisme anthropologique. Il semble même verser dans le relativisme, déclarant qu’il est peut-être impossible de déterminer si nous avons vraiment tort ou raison. Une fois rappelé que les stratagèmes rhétoriques sont indépendants de la vérité objective, et par conséquent que ceux-ci « peuvent aussi être utilisés quand on a objectivement tort », Schopenhauer ajoute dans une note de bas de page : « quant à savoir si c’est le cas, on n’a presque jamais de certitude à ce sujet »

Ainsi, que l’on ait tort ou que l’on ait raison, le plus important semble de s’en tenir au moins à une position, plutôt qu’aucune.

Le premier principe à retenir est donc qu’il faut défendre sa thèse coûte que coûte et ne jamais lâcher prise. Il faut être prêt à se livrer à un combat à mort, et faire fi de tout espoir de discussion raisonnable ou de quête commune de vérité avec les hommes trop sûrs d’eux, vaniteux et orgueilleux…

Partagez sur vos réseaux

Qu’est-ce qu’un « bretteur » ?

Qu’est-ce qu’un bretteur ? Ce mot venu d’un autre âge se rencontre de temps en temps dans les colonnes d’un journal, à propos de… débats politiques !

Une « brette » était une sorte d’épée, à lame longue et effilée, en usage du XVIe au XVIIe siècle. A cette époque, un bretteur était donc un duelliste, un escrimeur, quelqu’un aimant se battre à l’épée, chercher querelle et provoquer les autres en duel… Quel rapport avec la politique et les débatteurs (à part la rime) ?

Pour les spécialistes de la rhétorique, le débat est souvent envisagé comme un combat. Celui qui pousse le plus loin cette comparaison est le philosophe allemand Schopenhauer, dans son célèbre ouvrage L’art d’avoir toujours raison. Il développe toute une métaphore guérrière où chaque mot, chaque formule devient un coup de poignard ou d’épée. C’est d’autant plus vrai en politique, où les débatteurs sont prêts à tout pour écraser leurs adversaires.

Pour rappel, la rhétorique est l’art de la persuasion. Dans l’idéal, la rhétorique ne devrait pas être utilisée comme une arme. Elle ne devrait pas servir à « enrober » les idées fausses ou malhonnêtes. Elle devrait simplement servir à amplifier l’attrait des idées justes et vraies, par delà la rudesse ou la rigueur de leur démonstration formelle.

Dans L’art d’avoir toujours raison, Schopenhauer explique d’ailleurs que « la première mission des rhéteurs est d’élaborer et d’analyser les stratagèmes de la malhonnêteté dans la controverse afin que, dans les débats réels, on puisse les reconnaître immédiatement et les réduire à néant ». D’une certaine manière, le but de la rhétorique est de neutraliser les mauvais usages de la rhétorique…

Mais le philosophe allemand fait bien vite remarquer que la rhétorique sert de la même façon idées vraies et idées fausses – et le plus souvent en faveur de ces dernières. Pour Schopenhauer, les hommes sont vils et malhonnêtes. Ils cherchent seulement leur propre gloire, leur petit succès personnel, égoïstement, contre les autres et non avec eux… C’est à travers cette vision pessimiste du monde que les relations entre les hommes apparaissent comme tout autant de luttes implicites, de conflits larvés, de guerres symboliques. Le débat s’assimile à un combat, à une lutte dans laquelle la seule chose qui compte est de soi-même triompher, quelles que soient les idées défendues, au détriment de la vérité.

Schopenhauer insiste sur cette idée en utilisant nombre d’expressions directement tirées du registre militaire. Le terme même de « stratagème », par lequel il nomme chaque figure rhétorique qu’il présente, désigne à l’origine un procédé tactique propre à l’armée.

Dans les quelques pages d’introduction de L’art d’avoir toujours raison, Schopenhauer se sert de formules telles que : « …pour battre l’adversaire à armes égales… », « …dans les règles de ce combat… », « …toucher et parer, c’est cela qui importe… », etc. Schopenhauer use d’un vocabulaire guerrier, et fait plusieurs fois le parallèle avec un « maître d’arme préparant un duel »

La métaphore du combat est bien là, explicite et assumée, et le débatteur, qui se doit donc d’être bon rhéteur, est présenté comme un parfait bretteur.

Amusant : en québécois, le verbe bretter, de la même famille que bretteur, signifie « perdre son temps à une activité inutile, pinailler, discutailler, palabrer »… On dit « arrête de bretter » pour « arrête de glander » ! Voilà peut-être une traduction bien plus juste que la nôtre, qui ferait presque passer nos politiciens pour de nobles combattants héroïques…

Partagez sur vos réseaux